Sous ce pseudonyme, se cache Claude Durant, grand maître de l'édition. Après avoir fait ses débuts dès 1958 aux éditions du Seuil, il devient directeur général chez Grasset qu'il quitte en 1980 pour Fayard. Après avoir quitté la présidence de cette maison en 2009, il décide d'écrire un livre un peu particulier : J'aurais voulu être éditeur, publié...chez Albin Michel. Vous suivez toujours?
Beaucoup s'attendaient à y lire les mémoires de ce Mr Durant. Mais dès la couverture, le ton est donné : si la postface est bien de la main de ce grand patron de l'édition, c'est François Thuret qui est annoncé comme étant l'auteur du livre. Petit mensonge rectifié dès la quatrième de couverture : "Si l'auteur a eu besoin, pour son propos, de mettre en scène un explorateur ingénu de nos tribus éditoriales et littéraires, il n'est pas dans ses intentions d'user d'un anonymat de pacotille pour susciter on ne sait quel teasing de mauvais aloi et ne pas assumer la paternité de ce livre. Aussi bien signe-t-il: Claude Durant." Pas de tromperie donc, mais un avertissement : voilà ce à quoi ressemblera ce livre, présenté dès les premières pages comme l'oeuvre d'un jeune ingénu qu'un éditeur sur le départ ne publiera pas lui-même mais en fait la demande à un collègue : le patron d'Albin Michel, qui se prête au jeu du subterfuge.
Claude Durant nous emmène alors au coeur même du monde très select de l'édition. Dans les pas de ce François Thuret, il nous fait découvrir, souvent avec humour, l'édition vue de l'intérieur. Il maquille de pseudonymes les gens qu'il a côtoyés, déguise les prix littéraires magouilleux qu'il dénonce. Mais au fil des pages, l'humour fait place à la rancoeur et laisse un goût amer. La légèreté du début cède face à des phrases lourdissimes et inutilement allongées à l'infini (si votre mémoire vous fait perdre le fil au bout de trois lignes ininterrompues, ne songez pas à vous lancer dans cette lecture),ponctuées de quelques perles: "Je sus alors qu'un jour je partirais à la rencontre des hommes-livres".
On est heureusement récompensé puisque Claude Durant ne se prive pas pour dénoncer ce qui lui déplait tant dans l'édition : Machin, journaliste et écrivailleur, est édité chez Bidule dans l'espoir qu'il rédigera un article complaisant au sujet de cet autre nouveau roman publié chez Bidule et ayant besoin d'un peu de soutien médiatique. Truc, membre du jury d'un prix littéraire prestigieux (ou pas) et écrivailleur, est édité chez Bazar dans l'espoir qu'il votera pour le prochain écrivain de Bazar qui se retrouvera dans les listes dudit prix. Etc, etc. Comme quoi ce beau monde ne serait pas aussi reluisant qu'il est fantasmé.